de la Loi25 Avril 2014Un article de Thierry LE PEUT
paru dans Arrêt sur Séries 12 (mars 2003)
Un homme s’avance vers une affiche placardée sur un mur : « WANTED, DEAD OR ALIVE ». Il l’arrache et laisse la caméra cadrer son visage impassible. Cet homme est un chasseur de primes, payé pour ramener les gens recherchés par la Justice, morts ou vifs. C’est son métier, il ne travaille que pour l’argent et se moque d’être mal vu des gens ordinaires. Il agit Au Nom de la Loi dans un Ouest où la Loi a encore bien du mal à couvrir tout le territoire volé aux Indiens. Cet homme est Josh Randall, chasseur de primes.
La fiction télé et le western sont étroitement liés. Genre mythique aux Etats-Unis, le western remplissait les salles de séries B tournées à la chaîne durant les années 40 et 50. Lorsque la production devint plus coûteuse, de nombreux artisans du grand écran s’intéressèrent à la télévision, alors médium débutant encore entouré de scepticisme. La petite lucarne était demandeuse en effet de productions en série susceptibles de fidéliser un public encore jeune. Les succès du cinéma et de la radio trouvèrent alors une vie nouvelle et certains programmes allaient être appelés à une longue et glorieuse existence, comme Gunsmoke interprété à la radio par William Conrad et bientôt immortalisé sur le petit écran par James Arness, frère de Peter Graves à la ville et incarnation d’un envahisseur d’outre-espace dans La chose d’un autre monde de Howard Hawks et Christian Nyby. Source de richesses insoupçonnées à ses débuts, la télévision se mit à construire ses propres légendes en reprenant des personnages déjà éprouvés, faisant partie intégrante du folklore de l’Ouest : William Boyd fit ainsi fortune en incarnant Hopalong Cassidy dans une quarantaine d’épisodes télé entre 1949 et 1951 tandis que d’autres lui emboitaient le pas, Gene Autry en 1950 et Roy Rogers en 1951.
LE WESTERN A LA TELE
Le cow-boy télévisuel est fidèle à la mythologie du héros solitaire. The Lone Ranger, avec Clayton Moore, reste l’une de ses représentations les plus symboliques avec ses 221 épisodes diffusés entre 1949 et 1957 et son succès ouvrit la voie à un autre justicier masqué qui connut son heure de gloire à la télévision entre 1958 et 1960, signant ses exploits d’un Z resté fameux. L’influence de la bande dessinée est manifeste dans ces personnages manichéens souvent flanqués d’un cheval fétiche, qu’on l’appelle Silver ou Tornado, et d’un faire-valoir vaguement comique (Bernardo, Tonto et alii). The Adventures of Wild Bill Hickock, Buffalo Bill Jr, Range Rider, The Adventures of Kit Carson, Bat Masterson, Bronco, Cheyenne, Cisco Kid sont quelques-uns des héros solitaires qui chevauchent la lucarne au tournant des décennies 50 et 60.
C’est aussi à cette période que naît ce que l’on a appelé le western « adulte », c’est-à-dire destiné au public adulte du début de soirée. En septembre 1955, ABC programme The Life and Legend of Wyatt Earp, avec Hugh O’Brian, qui contera sur 225 épisodes, jusqu’en 1961, la vie et les aventures de ce personnage légendaire de l’Ouest, immortalisé au cinéma par John Ford et John Sturges avec des noms prestigieux comme Bat Masterson, Doc Holliday, Tombstone ou O.K. Corral. Quelques jours plus tard, CBS lance son Gunsmoke qui tiendra l’antenne jusqu’en 1975, James Arness ne tardant pas à revenir dans un rôle de nouveau emblématique dans La Conquête de l’Ouest. Dans la même veine, The Restless Gunmet en scène un héros « maudit », voyageant de ville en ville où sa réputation de tireur redoutable le rend souvent indésirable, tandis que Have Gun, Will Travel propulse le personnage de Paladin, redresseur de torts incarné par Richard Boone, en tête des audiences.
ABC, en partenariat avec Warner Bros., commande alors une série de produits formatés qui dureront pour la plupart de trois à cinq ans : Cheyenne est bâti sur la forte carrure de Clint Walker, The Lawman sur l’association d’un shérif expérimenté et d’un jeune assistant, campés par John Russel et Peter Brown, les autres ont pour titres Sugarfoot, Colt .45, Bronco et Maverick. Cette dernière est restée la plus fameuse en raison sans doute de la personnalité de James Garner, l’interprète de Bret Maverick, et de ses partenaires Robert Colbert, Jack Kelly et Roger Moore.
Le tournant des années 60 marque ainsi une sorte d’âge d’or du western télé, voyant l’apparition également de Bonanza, autre programme mythique de l’Histoire du western, voire de la télévision. En 1957, la société Four Star (fondée par Dick Powell, Ida Lupino, David Niven et Charles Boyer), productrice de plusieurs des programmes précités, lance une série narrant les exploits d’un Texas Ranger, Hoby Gilman, dans l’Ouest de l’après-guerre de Sécession. Trackdown durera deux ans et 71 épisodes, révélant le comédien Robert Culp qui s’y sentira d’ailleurs si malheureux qu’il déclarera après cette expérience ne plus jamais vouloir de série télé ! (Ce qui ne l’empêchera pas d’être l’un des héros de Les Espions six ans plus tard et de rempiler pour The Greatest American Hero au début des années 80.) Toujours est-il que la série est produite par Vincent Fennelly, à qui l’on attribue l’idée de développer un épisode autour d’un chasseur de primes dont la route croise celle de Gilman. Intitulé « The Bounty Hunter » (le chasseur de primes) et écrit par John Robinson, l’épisode est diffusé le 7 mars 1958 sur CBS et Fennelly s’en sert de pilote pour proposer à CBS une série centrée sur le personnage du chasseur de primes. Le procédé n’est pas isolé,L’Homme à la carabine faisant à la même époque son apparition dans un épisode de The Zane Grey Theatre avant de devenir un programme autonome. Four Star et CBS donnent leur accord et signent l’acte de naissance de Wanted Dead or Alive, starring Steve MacQueen. Une autre version de l’histoire fait de « The Bounty Hunter » non un pilote délibéré mais un épisode dont le succès aurait conduit Fennelly à concevoir une série dérivée.
THE NAME IS MacQUEEN
Vincent Fennelly a commencé à produire des westerns au début des années 50, à cette époque merveilleuse où les titres se multipliaient comme les pains entre les mains des producteurs hollywoodiens.Arizona Territory, Cherokee Uprising, Silver Raiders, Outlaw Gold, Outlaws of Texas, Colorado Ambush, Abilene Trail, Man From Sonora sont les premiers titres d’une filmographie qui conduit, en 1951, à un premier Wanted Dead or Alive réalisé par Thomas Carr, futur réalisateur et producteur de la série dérivée deTrackdown : le monde est petit. Sept ans plus tard, après une quarantaine de titres, Au Nom de la Loimarque l’une des dernières prestations de Fennelly qui produira encore Stagecoach West, une série de 1960, puis deux saisons de Rawhide entre 1962 et 1964 avant d’inscrire son nom au générique de Les Colts des sept mercenaires et des Canons de Cordoba en 1969 et 1970.
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C’est Fennelly qui recherche, pour incarner son chasseur de primes, un acteur jeune, capable de dégager force et tendresse à la fois, « un petit gars [little guy] ayant l’air suffisamment rude pour faire ce travail, mais avec une sorte de charme adolescent derrière cette rudesse. Il devait être vulnérable, de manière à ce que le public puisse prendre son parti contre les méchants. » Steve MacQueen avait cette ambiguïté, aux yeux de Fennelly. « Je l’ai choisi parce qu’il était un homme ordinaire. Vous savez, un chasseur de primes est un pauvre type. Tout le monde est contre lui sauf le spectateur. Et Steve McQueen n’était pas une beauté, il avait une espèce d’instinct animal, il pouvait ronronner mais montrer ses griffes en même temps. » 1 Le comédien, âgé de vingt-six ans, avait tenu un tout petit rôle dans le film Somebody Up There Likes Me (Marqué par la haine) de Robert Wise, en 1956, au côté de Paul Newman, et dans quelques dramatiques télé : un épisode du Goodyear Television Playhouse, un autre de The United States Steel Hour, ensuite West Point et Tales of Wells Fargo. Entre les deux, c’est le réalisateur Buzz Kulik qui le fit engager pour un épisode de Climax. Autre collaboration qui le fit remarquer en 1957 : un double épisode de Studio One intitulé « The Defender », où il jouait un accusé.
Aujourd’hui « légende » du cinéma, McQueen n’avait donc pas encore décollé mais commençait à se faire remarquer : il avait été en tête d’affiche de deux longs-métrages de cinéma en 1958, The Blob (Danger planétaire) et The Great Saint Louis Bank Robbery (Hold-up en 120 secondes).
Après une enfance qu’il dira lui-même difficile, abandonné par son père et confié durant plusieurs années par sa mère aux soins d’un oncle fermier, contraint ensuite de suivre sa mère à Los Angeles où elle vivait avec un homme qu’il n’accepterait jamais, celui qui deviendrait Josh Randall avait exercé de petits métiers et passé quelque temps dans la Marine avant de s’inscrire à des cours de comédie. De petites représentations théâtrales en apparitions au cinéma et à la télévision, il se faisait une petite place en attendant la bonne occasion. « J’ai tout de suite aimé le caractère de Josh Randall », dira-t-il plus tard. « Comme moi, c’est un solitaire, un errant, un type qui a le goût du danger. » 2 Cette déclaration éclaire en partie la fascination que continue d’exercer le personnage, alors que la plupart des programmes de l’époque sont tombés dans l’oubli. Josh Randall a quelque chose de Steve McQueen et contribuera à forger la légende d’un comédien rebelle, forte tête, qui ne supportera jamais qu’on lui dicte sa conduite. Avec un autre acteur, la série aurait peut-être duré plus longtemps mais McQueen finit par s’impatienter dans les limites que les producteurs entendaient donner à son jeu. A l’instar, bien plus tard, de Johnny Depp engoncé dans le carcan de 21 Jump Street, il entrera en conflit avec la production, suivra son instinct plutôt que les directives et finalement poussera la Four Star à interrompre le tournage en raison, dit-on, de retards dus au caractère intraitable de la vedette. Fennelly d’ailleurs accusera l’acteur d’avoir pris la grosse tête.
McQueen ajoutait en commentant son rôle : « Pour entrer dans sa peau, j’imaginais ce qu’il aurait fait dans telle situation puis j’y ajoutais ce que j’aurais fait moi personnellement. » En conclusion : « Si les gens se sont pris de sympathie pour Josh Randall, c’est parce qu’ils ont vu en lui, non pas un héros en bronze et en or, mais un homme en chair et en os, capable d’avoir du courage mais aussi d’avoir la frousse. » 2
PAS DE PLACE POUR DEUX JOSH RANDALL
Le problème vint de ce que les producteurs, eux, ne voyaient pas ainsi le personnage. Suivant la tradition du western, ils voulaient un héros taillé dans le roc de la bravoure, capable d’affronter plusieurs hommes à la fois et de s’en sortir vainqueur. McQueen au contraire souhaitait le rendre moins glorieux et plus humain : selon lui, un homme réellement intelligent n’affronterait pas plusieurs hommes à la fois mais tournerait d’abord les talons pour s’occuper de chaque adversaire, un par un, à la manière de l’Horace antique. Dans le même ordre d’idée, il s’opposa au look propret qu’on voulait imposer au personnage et choisit lui-même son chapeau. Mécontent du cheval octroyé par la production, il s’adressa à un éleveur pour le remplacer et opta pour un cheval noir un peu rétif, parce que (légende ou réalité ?) ce caractère lui plaisait.
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De McQueen et de son cheval on parla beaucoup à l’époque du tournage. L’entente ne fut pas aussi parfaite en effet qu’entre le personnage et sa monture. Non que McQueen n’aimât pas les chevaux, au contraire : durant son enfance à la ferme avec son oncle, il avait appris à s’occuper des bêtes et les appréciait énormément. Mais Ringo, le cheval, n’était pas habitué aux studios de cinéma et le fit clairement sentir à son cavalier, le jetant à terre et l’abîmant de temps en temps. « Vous ne pouvez pas prendre directement un cheval de l’extérieur et le mettre sur un plateau, où il y a inévitablement des lumières fortes et des zones d’ombre. » expliquait le comédien. « Un cheval doit marcher de la lumière vers l’ombre ou il ne voit plus rien. [...] Pendant la première semaine de tournage le cheval renversa quatre ou cinq projecteurs, bouscula les autres chevaux, me cassa un orteil à force de me marcher sur les pieds, et me fit tomber quatre fois. Ce n’était que le début et nous allions le garder pendant trois ans. » 3 Dans les déclarations de McQueen transparaît l’admiration du « rebelle » pour cet animal aussi peu docile que lui : « A la première seconde Ringo m’a jeté à terre. C’était tout ce qu’il fallait pour me séduire. [...] Aussi fort que moi, aussi têtu que moi, il ne m’a jamais complètement cédé... » 3
Autre innovation attribuée au comédien, et non des moindres : celle qu’il apporta à l’arme de Randall. « J’ai adopté une Winchester modèle 1884, ‘la carabine de la Conquête de l’Ouest’. Je la modifiai à ma guise, retaillai la crosse et sciai le canon, si bien que je pouvais la porter à la ceinture, comme un Colt. » Donnez à un héros un signe distinctif et vous avez déjà les bases d’une légende ! McQueen, pour être crédible dans l’utilisation de l’instrument, s’entraîna des heures durant afin de devenir réellement un bon tireur, capable d’impressionner les hors-la-loi auxquels les scénaristes le confrontaient : « Je m’entraînais plusieurs heures par jour sur une cible placée à vingt mètres, tirant mes six cartouches en trois secondes, plus vite qu’avec n’importe quelle arme automatique. » 4
Tous ces ajustements dans un seul but : faire de Josh Randall un personnage justement redouté, convaincant dans son rôle de chasseur de primes, et non un cow boy d’opérette comme la télévision en cultivait encore à l’époque dans quelques shows comme ceux de Roy Rogers ou de Gene Autry. Il était important, toujours dans cet esprit, de souligner la vénalité du personnage plutôt qu’une bravoure factice : Randall n’agit pas pour la veuve et l’orphelin, ni pour de grands principes, mais avant tout pour l’argent. On ne risque pas sa vie pour rétablir la justice partout sur son passage : ce pragmatisme, McQueen le retrouvera dans d’autres rôles formant sa propre légende, notamment celui du flic taciturne et désabusé deBullitt. Et il fera écrire à François Guérif, dans sa monographie sur l’acteur, que Josh Randall est « un chasseur de primes froid et taciturne, en avance d’une décennie sur les antihéros de Sergio Leone, qui lui doivent beaucoup. »5
Cette optique, McQueen n’y renoncera pas. D’autant moins, d’ailleurs, que le cinéma commence à lui ouvrir ses portes de manière plus prometteuse que jusqu’alors : sous la direction de John Sturges et au côté de Frank Sinatra, McQueen tourne en 1959 Never so Few (La proie des vautours), un film de guerre dans lequel il joue un personnage plus dur que Josh Randall, moins conciliant. Son rôle de télévision commence à lui apparaître étriqué, tandis que le tournage reprend, harassant : « C’était pire que dans les Marines », racontera l’acteur. « Je me levais à cinq heures et je tournais jusqu’à vingt heures. Quand je rentrais à la maison, épuisé, sale et nerveux, ma femme se demandait si elle avait épousé un homme civilisé ou un cow boy chasseur de primes ! » 4 « Quand on joue un tel personnage pendant si longtemps, on finit par le devenir. C’était tout à fait comme si je vivais vraiment au Far West, faisant la chasse aux méchants. Quand je me regardais dans la glace, je voyais Randall. Je me demandais si j’arriverais jamais à m’en défaire. Franchement, cette série a duré des siècles. » 6
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Financièrement, le comédien est reconnu : de $750 par semaine au début de la série, il passe progressivement à un salaire de $100.000 l’année. En 1960, John Sturges fait de nouveau appel à lui pour le rôle de Vin, un as de la gâchette dans Les Sept mercenaires. McQueen, dit-on, n’hésite pas à simuler un accident pour se rendre indisponible sur le tournage de la série et pouvoir ainsi participer au film. Quoi qu’il en soit, le petit écran l’incommode visiblement de plus en plus et ses démêlés avec Ed Adamson, producteur et auteur d’une douzaine d’épisodes de la troisième saison d’Au Nom de la loi, ne sont plus un secret.
« Ils essayaient de transformer Josh Randall en Superman », déplorera l’acteur. « Moi, je voulais le jouer plus ‘vrai’, comme un mec qui faisait un boulot dangereux, obscur, sans faire d’histoires. Mais les boss de la Four Star cherchaient à en faire un genre de macho aux mâchoires serrées, qui ne manquait jamais sa cible. » Incompréhension. Discussions. Compromis mais pas capitulation. « Personne ne connaît mieux Josh Randall que Steve », reconnaît Adamson. « Il sait ce que Randall ferait dans telle situation et ce qu’il ne ferait pas. Steve n’est pas arbitraire dans ses arguments. Ça ne veut pas dire que je les apprécie mieux, mais je garde un certain respect de son jugement. Et, quand je vois le produit fini, je l’aime bien. J’ai souvent pensé qu’il était merveilleux, mais il y a des jours où ce n’est pas facile de le dire. » 2De son côté, le comédien campe sur sa position et affirme haut et fort sa détermination de jouer Randall à sa manière : « Je ne suis pas ici pour gagner une quelconque popularité. Je suis là pour faire mon travail. Je me fous de savoir si Four Star se casse la figure ou non, mais aussi longtemps que je serai dans cette série je donnerai le meilleur de moi-même. » 3
Après deux saisons le samedi soir, entre 20 h 30 et 21 h, la série est déplacée au mercredi, à la même heure. L’indice d’écoute diminue pour cette troisième saison, qui sera aussi la dernière. McQueen range la panoplie de Josh Randall après 94 épisodes et dira plus tard : « Si j’ai laissé tomber Au Nom de la loic’est surtout à cause de mes conflits permanents avec la production. Pendant trois ans j’ai lutté pour les convaincre qu’un chasseur de primes n’était pas un héros. On voulait me faire faire des choses formidables mais totalement irréalistes, comme de me battre contre cinq adversaires à la fois, et de gagner ! Depuis cette époque, j’ai toujours refusé de jouer un personnage à la façon voulue par les réalisateurs, mais comme je le sentais dans ma peau. Au fond Josh Randall était comme mon propre frère : un solitaire qui aimait le travail bien fait et qui refusait de se soumettre. » 3
AU NOM DE LA LOI EN FRANCE
En France, Josh Randall a commencé sa carrière deux ans après son interruption aux Etats-Unis, le 25 mai 1963, le samedi soir à 20 h 30 soit au même horaire que dans son pays d’origine. La série fut un succès et 26 épisodes sont diffusés jusqu’au 16 novembre 1963, sans respect pour l’ordre de diffusion originel. Moins de quatre mois plus tard, le 7 mars 1964, le chasseur de primes est de retour pour six mois sur la première chaîne. En 1966 il passe sur la deuxième chaîne puis revient à la première en 1973. Jusqu’en 1981, de nouveaux épisodes seront diffusés sporadiquement : au total, 79 épisodes doublés, 77 diffusés. Il faudra attendre quelques années encore pour voir les derniers inédits, sur Canal Jimmy entre 1993 et 1995. Un « retour » dû en grande partie à la colorisation de la série, procédé qui permet la découverte par un nouveau public et dont a bénéficié aussi Zorro, autre classique de l’époque.
Par chance, Jacques Thébault double tous les épisodes depuis le premier, « Le journaliste », diffusé en mai 1963, jusqu’au dernier, adapté quelque trente ans plus tard. C’est lui aussi qui doublera Clint Eastwood dans une série western de la même époque, Rawhide, diffusée pour la première fois en France en 1986 par Canal +. La même voix française pour deux icônes du cinéma ayant débuté au même moment à la télévision et symbolisant l’un comme l’autre le héros dur et solitaire de l’Ouest : on a déjà souligné en effet la parenté existant entre Josh Randall et le rôle qui fera la renommée d’Eastwood devant la caméra de Sergio Leone.
L’arrivée de Josh Randall en France fut saluée différemment par la « grande presse télé » et par la « grande presse » tout court. On lisait ainsi dans Télé 7 Jours : « A la télévision [...] on est resté au western tout en action et en pétarades. Au Nom de la loi, le nouveau feuilleton du samedi, et son héros, Steve McQueen, un « chasseur de primes » qui ne se sert pas d’un colt mais d’une carabine au canon scié, parviennent même à apporter un peu d’air nouveau dans un genre bien rebattu. » 2 Jacques Siclier, dans Le Monde, est plus réservé : « Voici qu’arrive, plus tôt que prévu 7, Josh Randall dans Au Nom de la loi. Héros très américain par sa profession de « chasseur de primes » qui n’a pas d’équivalent chez nous, son allure et ses manières le feront passer sans doute pour un cow boy nouvelle vague. L’acteur Steve McQueen a le visage pâlot d’un grand enfant naïf et un peu têtu. Rien de la virilité conquérante de Gardner McKay, le capitaine Troy 8, pour qui tant de coeurs soupirent... Au vrai, dans cette première aventure qui n’est ni très originale ni tellement bien réalisée, le personnage attachant était plutôt Michael Lipton, le journaliste. Mais cela peut changer. » 3
Télé 7 Jours contribua à la popularité de la série en consacrant plusieurs couvertures et plusieurs articles à la « star » Steve McQueen, que la France avait découverte au cinéma dans Les Sept mercenaires. Le « clou » de cette promotion eut lieu le 17 septembre 1964 lorsque l’acteur, invité par le magazine, participa à une grande fête organisée au Ritz en présence du Tout-Paris. Deux jours plus tard le magazine rendit compte de cette soirée dans son n° 235 tiré exceptionnellement à 1.500.000 exemplaires. Apothéose de la soirée : la vente aux enchères de la fameuse Winchester de Randall, adjugée à Gilbert Bécaud pour 15.000 francs aussitôt reversés au Mouvement pour les Villages d’enfants.
PORTRAIT D'UN HEROS PRECURSEUR
Au Nom de la loi repose essentiellement sur le personnage de Josh Randall. Les décors sont souvent interchangeables et d’ailleurs utilisés plusieurs fois, en particulier les saloons et les prisons. L’équilibre entre scènes d’intérieur et tournages en extérieurs est commun à la plupart des séries westerns, ainsi que le recours à des décors de studio pour les scènes de nuit (les bivouacs essentiellement) et certains plans circonscrits dans un espace relativement restreint comme une clairière (dans « La diligence » par exemple). La cinématographie elle-même ne cherche pas l’originalité et privilégie le plan rapproché et le gros plan pour les dialogues et les affrontements, ou les plans moyens et les plans d’ensemble pour les extérieurs. La plupart des épisodes impliquant des déplacements alternent ces tailles de plan de manière à construire une notion d’espace indissociable du genre. La structure narrative est linéaire et suit en général pas à pas le parcours de Randall, les chevauchées en extérieurs étant souvent utilisées pour suggérer l’écoulement du temps.
Josh Randall se veut un personnage atypique de « bad nice guy », selon une expression attribuée à Vincent Fennelly. La crainte qu’il doit inspirer aux criminels justifie son laconisme et l’aura de mystère qui l’accompagne. Son goût des parties de poker, de l’alcool et des filles de saloon, que l’on constate de loin en loin dans les séquences de « pause », contribuent à son image de solitaire et d’homme simple qui ne recherche pas la publicité (« Je pense le moins possible », dit-il dans « Les deux frères »...). Etre goujat avec les dames ou cynique face à ses interlocuteurs ne le dérange pas, au contraire, c’est une manière de tenir les importuns à distance. Dans « La novice », c’est une Mère Supérieure qui en fait les frais parce qu’elle n’a à lui proposer que des prières là où seul l’argent sait le motiver. Ce ne sont pas les prières qui le maintiennent en vie mais l’efficacité et la prudence. Il évite ainsi de se mêler des affaires des autres et n’accepte jamais une affaire s’il n’a pas le sentiment d’en maîtriser les données. Aucun argument ne saurait cependant peser plus lourd dans son choix que la monnaie sonnante et trébuchante.
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Comme au poker, il lui arrive pourtant de prendre des risques : au début de « Coup de poker », justement, il risque sa mise sans être assuré du résultat. Régulièrement, il intervient non par appât du gain mais pour rétablir la justice ou au nom d’une notion qu’on jugerait a priori étrangère au chasseur de primes : la morale. Dans « Le procès », il s’improvise avocat pour donner une chance à l’accusé devant la partialité flagrante d’un shérif qui officie également en tant que juge et jury. Dans « 8 cents de récompense », il accepte, pour faire plaisir à un enfant, de retrouver... le Père Noël. Dans « Le prétendant », encore, il essaie de trouver une femme à un ami. Souvent couvert d’anathèmes et méprisé pour son métier, qui l’assimile à un chasseur d’hommes, Randall possède donc l’ambiguïté morale d’une sorte d’anti-héros en un temps où celui-ci n’est pas encore devenu la règle. Capable de tuer (« Randall ? J’ai déjà entendu parler de sa Winchester ! » dit un personnage de « La diligence »), réputé pour son intransigeance et son efficacité, il montre aussi une forme de compassion qui suffit sinon à le racheter du moins à le rendre moins détestable : plusieurs épisodes le confrontent à des femmes qui, d’abord hostiles ou réservées à son égard, découvrent à son contact les aspects les moins rudes de sa personnalité, ceux qu’il cache par égard pour sa réputation (et donc sa survie).
La dureté du chasseur de primes est souvent justifiée par l’attitude des gens qu’il rencontre. D’une part sa profession attire beaucoup de tueurs sans morale qui préfèrent abattre leur proie avant de la ramener (Daimler, dans « La contre-prime », ou encore Jarrett et Meadows dans « Les chasseurs de primes », stigmatisent ce genre de personnage). D’autre part les braves citoyens qu’il secourt parfois sont tout prêts à le sacrifier pour assurer leur bien-être, comme dans « L’otage ». Le cynisme de Randall apparaît donc davantage aux yeux de son public (nous) comme une preuve de lucidité et la série y gagne en force de conviction car elle évite l’angélisme naïf en ne présentant pas les victimes comme des innocents et les « méchants » comme des tueurs sanguinaires. Ceux-ci existent certes, et Randall en poursuit un dès le premier épisode, mais il arrive aussi que les fugitifs soient reconnus innocents du crime dont on les accuse. Certains scénarii optent ainsi pour une conclusion amère en révélant cette innocence alors que le fuyard est déjà mort, comme dans « Service rendu ».
L’exemple justifie l’attitude de Randall qui refuse de se constituer juge dans les affaires qu’il accepte. La culpabilité ou l’innocence de ceux qu’il recherche ne l’intéresse pas car elle relève de la Justice. Lui-même se considère comme un auxiliaire, non comme un exécutant. « Signes de piste » illustre bien cet aspect du personnage, qui ne tient pas compte de la version donnée par le père et la fiancée de l’homme qu’il traque. Au final, il apparaît que ce dernier est bien innocent et victime d’une machination mais cette hypothèse n’a pas dissuadé Randall de le chercher. Lorsqu’il prend position, par exemple dans « Le procès », il lui arrive d’ailleurs de se tromper : l’accusé qu’il a défendu par respect pour une justice équitable se révèle coupable in extremis ! Innocence et culpabilité ne vont jamais de soi et les bras armés de la justice peuvent à l’occasion être plus dangereux que les criminels qu’ils recherchent. Les victimes, de la même manière, ne sont pas forcément dénuées d’ambiguïté : dans « Signes de piste » encore, l’homme qui engage Randall pour retrouver Juan Portilla en l’accusant de l’avoir rendu infirme n’est pas ce qu’il prétend être. Cloué dans une chaise roulante, il tire en réalité les ficelles et utilise Randall pour parvenir à ses fins. La conclusion de « Sans pitié » agit comme un écho de cette intrigue lorsque Randall abat un infirme en fauteuil roulant, en état de légitime défense, dans une histoire où une fois de plus la victime apparente est moins innocente qu’il n’y paraît.
Redoutable, Randall l’est assurément : à un homme qui s’écrie « Vous ne tueriez pas un enfant ! » dans « Un étrange garçon » il répond : « J’ai pas le choix, ça devient une question de vie ou de mort ». Mais pas pour autant invincible, ainsi que le souhaitait McQueen. Non seulement il réfléchit à deux fois avant d’affronter plusieurs adversaires en même temps, préférant autant que possible rester à l’écart (dans « Sans pitié » par exemple, à l’occasion d’une bagarre générale dans un saloon), mais il peut aussi être sérieusement mis à mal par ceux qu’il recherche. Le Coréen de « Le Chinois » (un mauvais point aux traducteurs !) se défend ainsi en ayant recours à des arts martiaux totalement inconnus du pauvre Randall, bien mal en point après leur affrontement. Dans « Un étrange garçon », encore, il est blessé par balle et devient vulnérable. Courageux mais pas téméraire, Randall ne cherche pas à dissimuler sa peur : « Si c’est être lâche que d’avoir peur, vous avez un lâche devant vous », dit-il dans « Affaire de famille ».
Peu d’éléments seront donnés sur la vie privée du personnage, qui restera solitaire durant toute la série. L’adjonction d’un « assistant » dans quelques épisodes, à la fin de la deuxième saison, ne sera pas renouvelée et les intermèdes amoureux ménagés ici et là ne sont que des ponctuations dans la vie du héros solitaire. Que ferait-il d’ailleurs d’une femme ? « Avec le genre de vie que je mène, ça n’aurait aucun sens », déclare-t-il dans « Ange ou démon ». En revanche, on le surprend parfois en flagrant délit de tendresse paternelle, comme avec le jeune indien qu’il rencontre dans « Le monstre », seul rescapé du massacre de son campement, ou dans « Une mère, mais aussi une grand-mère » où il intervient dans une querelle de famille dont la principale victime est un jeune garçon. De sa propre enfance on sait qu’elle n’a pas dû être spécialement heureuse (voir « Ange ou démon ») et que son père avait « la bougeotte ». Si l’envie de fonder un foyer le titille parfois, « quand je passe devant une ferme le soir, quand je vois les lumières allumées » (« Ange ou démon » toujours), il préfère pourtant le célibat et la liberté. Signe de cette impossibilité de s’installer quelque part, il est rejeté par la ville où il passa son enfance dans « L’accusation ». Randall est un errant et doit le rester, sous peine de perdre son âme de héros.
L’intérêt de la série réside dans tous ces aspects qui en font une variation toujours attachante du héros de l’Ouest. « Vous ressemblez aux héros qu’on voit dans les livres », lui dit une femme dans « L’enlèvement », « vous secourez les demoiselles en détresse ». Pourtant le charme de Randall vient justement de ce qu’il ne se laisse pas enfermer dans cette définition qui sied volontiers aux héros mythiques dans la lignée du Lone Ranger ou de Zorro. Plusieurs épisodes révèlent le potentiel comique du personnage mais sa dureté n’en est pas moins évidente et l’on sent en lui une sorte de précurseur du Magnum de Bellisario : un maverick forte tête et amoureux de la liberté, pour qui l’amitié reste une valeur première même s’il a conservé peu d’amis véritables. Le jeu de McQueen, parfois jugé limité, convient tout à fait au personnage et lui confère une « force tranquille » entre rudesse et compassion. Vulnérable plus que fragile, vénal mais épris de justice, Josh Randall possède cette faculté d’incarner des fantasmes irréductibles : la liberté, la droiture et une conception sans fioritures de l’existence. De quoi le ranger au rang des icônes télévisuelles 9.
Notes
Tout écrit se nourrit des écrits antérieurs : j’invite donc les lecteurs à consulter les ouvrages qui ont permis l’écriture de cet article et dont les références sont indiquées dans les notes ci-dessous. J’y ai puisé l’essentiel des anecdotes et des citations utilisées ici. Que les auteurs en soient chaleureusement remerciés.
1. Cité par Philippe FERRARI dans Steve McQueen, Solar, 1981. François GUERIF, dans son propreSteve McQueen, Denoël, 2001 (première édition parue en 1978 chez PAC), donne cette traduction : « Un chasseur de primes est une sorte de second couteau. Tout le monde est contre lui, sauf le public. Et McQueen était un type peu commun. Il n’était pas l’homme le plus séduisant du monde, mais il avait une sorte d’instinct animal fascinant. Il pouvait paraître gentil, mais on percevait la menace derrière cette gentillesse. ». La référence de F. Guérif est le livre de Malachy McCoy, Steve McQueen, Max Caulfield, 1974. Faites votre choix !
2. Cité par Ph. FERRARI, op. cit.
3. Cité par Philippe DURANT dans Steve McQueen, PAC, 1984.
4. Cité par Marc Toullec dans son article « Au nom de la loi », in Impact n°47, octobre 1993.
5. F. GUERIF, op. cit. (voir note 1).
6. Cité par Jacques VIALLON et Fabrice RENDE dans Au Nom de la loi, la légende d’un anti-héros, DLM, 1996.
7. Au Nom de la loi fut programmée en remplacement d’un dessin animé qui avait suscité quelques réactions protestataires... Les Pierrafeu !
8. Le capitaine Troy, qui faisait rêver ces dames, était le héros d’Aventures dans les îles (Adventures in Paradise) diffusée aux Etats-Unis de 1959 à 1962 et en France à partir de 1961.
9. Michael Patrick Goodman et Brian Taggert étaient sans doute de cet avis lorsqu’ils firent de Rutger Hauer le descendant de Josh Randall dans le film Mort ou vif (Wanted Dead or alive) en 1986.
THOMAS CARR
Crédité en qualité de créateur au générique d’Au Nom de la loi, Thomas Carr est l’un des principaux réalisateurs de la série. Mais c’est en tant qu’acteur que cet homme originaire de Philadelphie, où il est né en juillet 1907, a débuté sa carrière au cinéma : ses parents Mary et William étaient acteurs, de même que ses cinq frères et soeurs John, Louella, Rosemary, Stephen et Maybeth ! Dès 1918, il apparaît dans des rôles d’enfant dans Virtuous Wives, Through the Toils, The Idol Dancer ou Polly of the Follies. Puis il tient des rôles de soldat, de parlementaire ou de modeste employé dans des productions titrées S.O.S. Coast Guard, Parnell, Young Fugitives ou Slander House, apparaissant aussi (mais son nom ne figure pas au générique) dans une aventure de Flash Gordon tournée en 1938, Flash Gordon’s Trip to Mars.
A partir de 1945, il passe de l’autre côté de la caméra et signe une multitude de westerns à la fin des années quarante, parmi lesquels Santa Fe Saddlemates, Oregon Trail, Days of Buffalo Bill, Alias Billy The Kid, El Paso Kid, Jesse James Rides Again, Dalton’s Women ou Colorado Ranger, des séries B aux titres évocateurs mais rarement immortalisés. Il signe aussi, en 1948, (The Adventures of) Superman, un serial en 15 épisodes avec Kirk Alyn dans le rôle du surhomme de Krypton. Au début des années 50, tout en poursuivant une carrière prolifique au cinéma, il se tourne aussi vers la télévision et réalise des épisodes de The Gene Autry Show, The Range Rider, The Adventures of Wild Bill Hickock, Annie Oakley, Buffalo Bill Jr et... Adventures of Superman avec George Reeves. Dès 1951, il signe un moyen métrage de 58 minutes intitulé déjà Wanted: Dead or Alive, avec Whip Wilson, Jim Bannon et Leonard Penn, sur un bandit qui libère des malfrats de prison afin de les abattre et de toucher la prime offerte pour leur capture, morts ou vifs. Le producteur du film est Vincent Fennelly, qui produira plus tard la série avec Steve McQueen.
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Tom Carr prendra sa retraite en 1967, après avoir travaillé sur les séries Rawhide, Daniel Boone, Honey West, Brigade criminelle, The Dick Powell Show, The Guns of Will Sonnett et bien sûr Au Nom de la loi, dont il a dirigé 28 épisodes. Il est décédé le 23 avril 1997.[/size]